Adishatz,
Chacun sait que dans une association, l'essentiel du travail et des décisions est assumé par un tout petit noyau de personnes. Et parfois la dynamique impulsée par une ou deux. Au risque de troubler ou de blesser certains, et malgré le fait d'avoir recueilli les points de vue des uns et des autres, j'ai pris la décision de suspendre le Pit cette année, seul.
Comment donc expliquer en quelques mots une décision où se mêlent des considérations personnelles, politiques, et contextuelles ? En reprenant du début, mais il faudra tout de même, permettez, un peu plus de quelques mots :
Le Pit existe avant la création de l'association Pit Produccion, c'est au Pit que nous devons Pit Produccion, pas le contraire. La mairie de Dax, par l'intermédiaire et sous l'impulsion de Jean Marie Dartiguelongue, président du comité des fêtes, m'a confié personnellement en 2012 la mission de créer un lieu vivant de socialisation de la langue, un lieu culturel qui soit la vitrine vivante de notre langue parlée, chantée, dansée, vécue.
Cette mission, je l'ai acceptée sans réfléchir, pour tous et au nom de tous ceux qui militent et travaillent dans les landes autour de la langue et de la culture gasconne. Malgré les réticences, les jalousies, le scepticisme, le boycott de certains, nous sommes ensemble parvenus à imposer le Pit et son projet culturel et social dans le coeur des festaires d'ici et d'ailleurs. Prenons le fait qu'un bar dacquois ait scandaleusement usurpé notre nom "O'pit" comme une preuve de réussite.
Depuis quatre ans, nous n'avons eu de cesse d'inviter les uns et les autres, malgré les divergences de point de vue, et avons sollicité les collectivités départementales et régionales pour accompagner un projet qui prend chaque année de l'importance.
Cela se passait avant la californisation des Landes. Depuis, le département des Landes a supprimé l'entièreté de la subvention de Pit Produccion, supprimé également l'essentiel des aides accordées aux associations qui oeuvrent pour la culture vivante et la transmission de la langue, et reste le seul département de l'académie à avoir refusé de signer la "convention cadre de partenariat pour le développement et la structuration de l'offre d'enseignement de l'occitan et en occitan dans l'académie de Bordeaux".
Cela se passait aussi avant la création ex nihilis de l'Office Public pour la Langue Occitane et le refus systématique des collectivités régionales, faute de ligne budgétaire, de considérer tout ce qui a trait à la socialisation de la langue. Comme si une langue pouvait se transmettre, pouvait avoir un sens sans être socialisée. Or le Pit est un des plus formidables outils de socialisation de la langue qui existe, au même titre que le Carnaval Biarnès et autres fêtes populaires.
La municipalité dacquoise ne peut pas ignorer cet état de fait. Elle évacue aujourd'hui notre légitime demande d'aide pratique pour héberger les groupes qui viennent gratuitement, parfois de loin, et augmente notre participation (1200 euros) au titre de la solidarité avec les autres bodegas et estanquets, sourde au fait que nous ne sommes pas une bodega comme les autres. Certes, nous l'avons dit et répété, l'invitation de la ville est une chance, certes nous sommes une association, nous gérons comme les autres un lieu sur le domaine public et participons à la réussite de la fête. Mais nous avons aussi la charge d'organiser un programme culturel de musique vivante, la charge de fédérer et rassembler la communauté landaise autour d'un projet généreux et dynamique où puisse être partagées avec tous une identité, une langue et une culture, la charge de réussir à une poignée de bénévoles et sans aucun moyen, ce que la ville peine à faire avec la journée landaise.
J'entends certains me reprocher mon engagement personnel contre des projets (golf, vague artificielle, centres commerciaux, saumoduc) portés par le CG40. Je leur dit ici qu'ils se trompent gravement. Il n'existe pas d'autre posture pour la défense de notre langue et de notre culture que la résistance systématique et publique à ce et ceux qui mettent tout en oeuvre pour faire disparaître les conditions possibles du renouveau et de la transmission de notre langue. Non, la californisation des Landes n'est pas compatible avec la volonté de transmission de la langue, la culture gasconne et la défense de l'environnement.
Il ne suffit pas d'un communiqué en faveur des chasseurs d'ortolans en slip pour défendre la véritable identité landaise, son environnement, sa langue et sa culture. La défense de l'environnement, de l'identité d'un territoire, c'est à dire la culture d'un biotope, d'un contexte social et politique tourné vers l'avenir susceptible de l'accueillir - de la recueillir - est la base du projet de défense et de sauvegarde de la notre langue.
Non, les incantations à la paix, à la solidarité ne sont pas compatibles avec les représailles, la surenchère des bombardements aveugles, les déclarations de guerre. Est-ce le rôle des acteurs culturels mineurs de prendre position sur des sujets aussi brûlants, je l'ignore. Je dis ici que je ne serai pas solidaire à si peu de frais d'une unité nationale réclamée autour de manipulations d'opinions et de postures éminaments populistes. Nous ignorons encore à qui et à quoi il faille vraiment résister, mais je doute que cette résistance puisse seulement consister à chanter l'encantada aux fêtes de Dax et l'idée d'être assimilé à cela sans autre forme d'échange ou de dialogue me rebute.
Ajoutez à cela une lassitude personnelle et vous aurez je l'espère de bonnes raisons sinon de souscrire au moins de comprendre ma décision; j'ai mis entre parenthèses depuis quatre ans ma carrière artistique pour me consacrer à organiser les événements "Nas de Guit" et "Au Pit".
Je dois mettre aujourd'hui la dernière main à un livre bilingue à paraître en septembre - "letras au nin" qu'il est possible de commander ici -, finaliser un projet d'album de chansons en français et en occitan, ainsi qu'un cd de chansons pour enfants en gascon pour lesquels je ne reçois aucune aide.
Le combat contre les "Grands Projets Inutiles et Imposés" landais m'a pris également beaucoup de temps et d'énergie. Le forum international de Bayonne au cours duquel nous avons pu échanger avec les militants de Sivens, de NNDL, no TAV etc... nous a conforté dans la noblesse et la nécessité de notre lutte. Ce que nous aurons bientôt réussi dans les Landes est quasiment unique en Europe; arrêter trois projets destructeurs de l'environnement correspondant à près d'1 Milliards d'euros. Alors oui, ayant lutté pour dénoncer les gaspillages et faire économiser à la collectivité plusieurs millions d'euros, la suppression de la subvention de 5000 euros pour les activités culturelles de Pit Produccion liées à la culture locale a une saveur particulière. Il n'est pas ici question d'argent, il est question de choix.
Pour autant, le Pit n'est pas pour moi un lieu de lutte, il est un lieu de fête et de rencontres, un lieu de réconciliation.
Réconciliation de la langue des anciens et des modernes, des folkloristes et des occitanistes, lieu de socialisation de notre langue, de prise de conscience de l'envie, du besoin et de l'attachement de toute une population à sa culture, lieu de transition et de passage d'une politique linguistique et locale dépassée à la construction d'un autre avenir où notre langue sauvegardée trouvera à nouveau sa place naturelle.
C'est dès lors aux collectivités, à nos représentants d'accompagner et de porter un projet aussi précieux, non comme une bodega privée parmi d'autres mais plutôt comme lieu reconnu d'utilité publique où chacun, jeunes, vieux, élèves, professeurs, danseurs, chanteurs, musiciens, amateurs, professionnels, militants, locuteurs, associations, etc... aura sa place. Nous serons tous là je l'espère, si telle est leur intention, pour y participer.
Je ne me résous pas, malgré les apparences, à considérer cette décision comme un échec, au contraire. J'ai la satisfaction du devoir accompli, et je délivre le message à tous, preuves à l'appui, qu'il reste du chemin à faire ensemble pour satisfaire dans les Landes le besoin de langue gasconne témoigné par la population, avec tout ce qu'il transporte d'espoIr et de changements pour l'avenir.
Parti de rien, je transmets, à ma manière, après quatre ans de bons et loyaux services, un projet dynamique et ambitieux.
Puissiez-vous garder un souvenir positif de ces quatres années au Pit et forger ainsi une confiance collective pour les projets futurs de Pit Produccion. Nous avons encore besoin de votre concours et de votre soutien.
Merci à tous, bénévoles, militants, musiciens, sympathisants, pitaires, festaires, pour le travail accompli ensemble, et pour les chantiers à venir.
Merci Jean-Marie pour ta confiance,
Bon estiu a tots
Didier Tousis
|